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La perdition des mots
3 janvier 2011

Gare d'espoir

Gare d'espoir ;

Cela fait dix minutes que j'attends ce foutu train, mon dieu que c'est long ! C'est à ce demander ce qu'ils foutent sur les voies pour avoir de pareils retards. J'en ai marre d'attendre, j'ai envie de la voir, quinze jours, c'est long bon sang !
Je ne suis pas le seul à m'impatienter, une petite dame est en train de s'énerver contre un contrôleur de la SNCB, le pauvre, il n'y peut rien le mec. Allez faire comprendre ça à Tati Danièle... Puis la petite masse de bonne gens qui n'arrête pas de regarder l'horloge et marmonner entre eux.
Je regarde ma montre, il est 11h15, j''imagine qu'elle s'apprête, elle se fait surement belle, elle en a pas besoin mais bon, je ne cherche pas à comprendre la gente féminine. Elle va devoir attendre plus longtemps qu'elle ne pense, moi aussi d'ailleurs...Pff quand je pense que l'état nous supplie d'utiliser les transports en commun... Ils pourraient faire des efforts.
J'entends enfin un bruit strident et bien désagréable d'un bon vieux gros train dégueulasse de tags en tout genre et de toutes les couleurs. C'est moche en plus, ça ne donne pas envie de monter dedans mais bon, je n'ai pas envie de poireauter une heure pour prendre le prochain. Je me pose quand même des questions à propos des vielles personnes, c'est à se demander si elles le ne font pas exprès, je viens d'assister à un sprint olympique, euh non pardon paralympique, elle avait une canne ! La Tati Danièle de tout à l'heure s'est empressée de courir à trois pattes pour passer devant tout le monde. Pour finalement prendre deux heures pour monter deux marches. Alors je me demande, doit-on être compréhensif ? En se disant qu'elles n'ont pas toutes leurs têtes ? Où indifférent et bourrer dans le tas ? Je préfère ne rien dire, et m'imaginer moi en train de la jeter sur la voie avec un rire machiavélique mais ce n'est pas mon genre. Alors j'attends gentiment mon tour.
J'arrive enfin à rentrer dans ce train de malheur, l'odeur y est comment dire ? Désagréable, je comprends seulement que cela vient des WC du sas d'entrée. Je me presse, l'air de rien de changer de voiture, passant dans l'allée principale en balayant les gens du regard, j'adore faire ça. Je m'approche enfin de la fin du wagon, j'ouvre la porte coulissante menant au second sas, enfin de l'air frais ! Je jette vite en œil au wagon suivant, pratiquement vide, c'est parfait. Je rentre dedans et m'assied sur le premier siège se présentant à moi coté vitre.
Alors soit je suis malchanceux, soit le bon dieu m'en veut, soit j'aurais dû attendre le train suivant je ne sais pas mais je me pose des questions...Encore. Je commence à regretter mon célibat, sincèrement. Je n'aurai jamais imaginé me retrouver en tête à tête avec...la Tati Danièle championne paralympique du 100m haie. Là juste devant moi, en train de me sourire. Il lui manque plusieurs dents en plus, quatre si ma vue est bonne. Je sens que le voyage va être long.
-Quel âge avez-vous jeune homme ? Me demande-t-elle ? Mais ça ne va pas non ? Qu'est-ce que ça peut lui faire franchement ?!
-Oh certainement un quart du votre. Lui dis-je très calmement avec un léger sourire. Elle sourit, elle n'a pas l'air outrée, c'est bien, je sens que l'on voit bien rire.
-Qu'une vingtaine d'année ? S'étonna-t-elle. Elle doit avoir des problèmes de vue, mais bon c'est certainement l'âge.
-Pas encore madame, j'en déduis que vous vous trouvez entre septante et quatre-vingt ans ? J'imagine ? Elle se mit à sourire, je m'étais trompé, il lui manque au moins cinq dents.
-Vous êtes très perspicace en tout cas ! Pour un jeune homme !
-Vous ne faites pas votre âge avancé. Lui rétorquais-je, en insistant bien sur le « avancé ».
C'est marrant ce qu'on peut apprendre de pas du tout utile des vielles personnes au bout de même pas dix minutes de conversation, du genre « comment se tailler un sabot dans du bois ? » ou « Comment raccommoder une chaussette sans que cela ne se voie ? ». Des choses que l'on se passerait bien, surtout au 21ème siècle.
Mais ça va, j'ai de la chance, elle est âgée, elle se fatigue vite, elle commence à s'endormir. Il était temps. Comment peut-on dormir dans un train ? Non franchement même fatigué je ne saurais pas ! Avec les chocs, le bruit, les vibrations de la vitre quand on a le malheur de poser sa tête dessus...et j'en passe !
Enfin, je ne préfère pas me poser trop de question et de penser trop fort de peur de la réveiller.
Je me contente de regarder le paysage défiler devant moi, je regarde ma montre, encore une heure et demie de train. Voilà que la petite vielle me donne sommeil, il faudra que je raconte tout ça à Elodie, elle va bien rire. Mes paupières s'alourdissent, je me laisse tirer dans le sommeil. Oui je suis contrariant, je sais.

Je ne sais pas depuis combien de temps je dormais, mais un bruit m'a réveillé, Tati Danièle aussi d'ailleurs, elle a l'air choquée. La tête dans le cake, je ne comprends pas pourquoi. Je regarde autour de moi, le wagon s'est bien rempli dit donc... Tout ça sans que je ne me réveille et ben je devais être plus que crevé. J'entends un mec crié, je regarde, merde ! Il est armé, je n'ai vraiment pas de chance.
-Personne ne bouge ou je tire ! Classique comme menace, franchement il ne s'est pas foulé celui-là. Un homme en costume se leva, certainement pour jouer au héros, il s'approcha du forcené.
-Calmez-vous je vous prie, toutes ces personnes ne vous ont rien fait ! Ce n'est pas une solution ! Aie, il n'est pas très malin le mec en costume, je ne sais pas mais contrarier un homme qui a un flingue en main, ce n'est pas une bonne idée.
-Quoi ? Dégage-toi ! Le forcené lui colla un coup de crosse et tira un coup en l'air pour bien montrer qu'il était sérieux. Moi je pense qu'il n'ose pas tuer quelqu'un, ça ne doit pas être son but. Je regarde Tati Danièle qui est devenue toute blanche, elle tremble. Parkinson ? Je ne pense pas. Je regarde ma montre, il est 12h50, d'un réflexe, je regarde par la fenêtre, mince, je suis arrivé à destination. Faudrait que je descente mais je ne pense pas que le forcené accepte si je lui demande poliment.
Elodie...Elle doit m'attendre, quelque part sur le quai, je ne vois pas grand-chose de mon angle de vue. Enfin si je vois que je me suis bien planté depuis le début. Il manque bien plus de dents que je ne le pensais, je ne sais pas pourquoi mais ça m'obscène, je ne sais pas m'empêcher d'y penser aux dents manquantes de Tati Danièle.
Bizarrement, malgré que je me trouve dans un wagon rempli, pris en otage par un mec un peu énervé de la vie, que je suis sensé être avec ma copine en ce moment. Je me sens serein, je suis calme et pas du tout stressé. Je ne sais pas mais le cas social du forcené m'intéresse, il est la debout au bout du wagon, à nous regarder sans rien dire, son pistolet à la main. J'ai envie de discuter avec lui, savoir pourquoi il en est là. J'ai surement un problème, cette pulsion maladive à vouloir aider tous ceux qui ont des problèmes alors que ça ne me regarde pas. Bref, je vais quand même le faire. Et montrer au mec au costume comment on parle avec un forcené armé. Je me lève de mon siège fermement afin qu'il me voit, c'est réussi. Il braque son arme sur moi :
-Oh oh calme, moi aussi j'en ai marre de cette putain de vie ! T'as pas une deuxième arme ? Comme ça je prends l'autre wagon en otage, afin qu'il comprenne aux là-haut ce que c'est la vie !
J'ai beau avoir une arme braquée sur moi, ça m'amuse, ça sort tout seul, les gens me regardent, un peu déçus.
-Va te rassoir, et arrête tes conneries sinon je tire ! Il crie mais il ne me fait pas peur, je suis un gros inconscient, je m'en rends un peu compte mais maintenant que je suis debout, je ne vais surement pas me rassoir.
-Mais je ne plaisante pas ! J'avance lentement vers lui. Qu'est-ce qu'ils t'ont fait pour que tu en arrives là ? Je visais l'état, le gouvernement, les francs-maçons, tous ceux qui nous gouvernent comme des pions.
-On m'a viré à cause d'une bavure. Il parle calmement, c'est bon signe.
-Tu étais de la police ? Oui en fait le truc c'est de tutoyer la personne, comme ça elle pense qu'on est proche d'elle. Puis je ne vais pas prendre la peine de vouvoyer un mec qui braque une arme sur moi, ça va pas non ?!
-Oui, une bavure policière lors d'une intervention, j'adorais mon métier, ils ne peuvent pas me le reprendre ! C'est marrant, c'est comme dans les films ! Bon sang, je n'y crois pas, je rêve ce n'est pas possible. Je remarque que le train ne repart pas, autrement dit, la police est prévenue.
-Ce sont des choses qui arrivent, c'est vrai que c'est injuste, il y a eu des blessés des morts ? Il ne me braque plus, mais il laisse son doigt sur la détente. C'est tendu tout de même.
-L'intervention a tournée en fusillade, et je ne sais pas comment c'est arrivé mais l'un de mes collègues s'est retrouvé dans mon champ de tir. L'accident était inévitable, je...Il commence à bafouiller. Je lui ai logé une balle dans la tête, je l'ai vu tomber. Mais c'était un accident ! J'ai été condamné à trois mois de prison et retiré des forces de l'ordre pour homicide involontaire et négligence. Je ne m'en remets pas. Il parle comme un shérif américain qui a perdu sa plaque après trente ans de bons et loyaux services. Alors qu'il doit avoir dans la quarantaine.
J'aperçois qu'il y a du mouvement dehors, les flics sont là. C'est de plus en plus tendu, j'aurai mieux fait de rester assis.
-Comment tu t'appelles ? Parce qu'on discute mais on ne s'est pas présenté ! Moi c'est Vincent. Il est surpris de ma question, mais pas dérangé :
-Moi, c'est Mike, enchanté.
-T'as de la famille Mike ?
-Oui, une femme et deux gosses. C'est du tac au tac, ça permet de penser à autre chose que l'arme qu'il a dans la main.
-Tu ne penses pas à eux ? En ce moment ?
-Si, mais sans boulot, à quoi bon ? Et toi ?
-Moi ? J'ai une petite amie qui m'attend sur le quai justement, qui doit surement se demander quoi en ce moment. Ceci dit, mieux faut être un père au chômage qu'en prison, ou qu'un père mort. Tu ne crois pas ?
-C'est trop tard maintenant, je vais quand même pourrir en tôle.
-Non, tu n'as encore tué personne dans ce train, puis l'autre mec en costume, on dira qu'il est tombé et s'est cogné. Tout ce que tu risques c'est quelques mois en prison. C'est toujours mieux qu'une vie complète de gâchée.
-Ouais, mais je vais avoir besoin d'aide, tout seul je n'y arriverai jamais.
-Il suffit de garder espoir, alors garde espoir Mike ! Tu seras aidé. Son doigt se décolle de la détente, c'est gagné. Allez donne-moi ce flingue, la police est dehors et cerne le wagon. On va sortir calmement, ils vont t'arrêter, puis tu n'auras qu'à expliquer tout ce que tu m'as dit. Ils comprendront, j'en suis sûr. Il retourne l'arme, et la tient à présent par le canon, je la saisis doucement.
-Merci, infiniment, merci. Me dit-il.
-Il n'y a pas de quoi. On avance à présent vers le sas pour sortir, je tiens l'arme en main, je suis devant Mike afin de le mettre en confiance. J'ouvre la porte, nous somme dans le sas, je sens qu'il stresse :
-N'oublie pas ce que je t'ai dit, garde espoir ! J'appuie sur le bouton pour ouvrir la porte hydraulique du wagon. Je constate que les forces de l'ordre n'y sont pas allées de main morte, le quai était plein de flics en combinaison d'intervention spéciale. Comme dans les films ! Il fait calme, très calme, je tends l'arme pour la jeter sur le quai.
Un bruit court et retentissant résonne partout dans la gare. J'ai drôlement froid d'un coup, je me sens faible. Je vois Mike se cacher derrière le rebord de la porte. Je lâche l'arme qui tombe sur la voie, certainement près des rails, elle est passée entre le train et le bord du quai. Ce n'est pas plus mal. Je ne me contrôle plus, je sens que la gravité se fait plus lourde, je descends les deux marches en un temps records. Tati Danièle aurait été impressionnée. Je finis par m'effondrer sur le quai, juste devant la ligne de sécurité de couleur jaune que personne ne respecte. J'ai mal au ventre maintenant, je mets ma main instinctivement le point culminant de la douleur. C'est mouillé, je regarde ma main, arf elle est toute rouge, c'est dégueulasse !
-Qui a tiré ? Bon sang ! Je n'en ai pas donné l'ordre ! Entends-je c'est rassurant, je ne sens plus aucune partie de mon corps, j'ai sommeil maintenant. Pff j'aurais dû resté célibataire...

Fontaine Grégory, le 10 octobre 2010.

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